Le pluralisme et la pandémie

Réflexions du juriste Albie Sachs sur le confinement et l’avenir de l’Afrique du Sud


Date de parution: juin 2020

Author: L’honorable Albie Sachs

Biography

L’honorable Albie Sachs

Défenseur des droits de la personne de longue date, avocat, juge et auteur ayant passé 168 jours en isolement cellulaire en Afrique du Sud, l’honorable Albie Sachs a consacré sa carrière aux valeurs de la justice, de l’inclusion et de la paix. Combattant de la liberté pour les Sud-Africains noirs et architecte clé de la Constitution de l’Afrique du Sud après l’apartheid, M. Sachs a survécu à une tentative d’assassinat qui lui a fait perdre un bras et la vision d’un œil. Après sa rémission, M. Sachs est revenu aider Nelson Mandela à faire passer l’Afrique du Sud de l’apartheid à la démocratie en contribuant à la rédaction d’une Constitution qui reconnaît fortement le caractère multiculturel, multireligieux et multilingue du pays.

En 2016, M. Sachs a prononcé la Conférence annuelle sur le pluralisme à Toronto.

Défenseur des droits de la personne de longue date, avocat, juge et auteur ayant passé 168 jours en isolement cellulaire en Afrique du Sud, l’honorable Albie Sachs a consacré sa carrière aux valeurs de la justice, de l’inclusion et de la paix. Combattant de la liberté pour les Sud-Africains noirs et architecte clé de la Constitution de l’Afrique du Sud après l’apartheid, M. Sachs a survécu à une tentative d’assassinat qui lui a fait perdre un bras et la vision d’un œil. Après sa rémission, M. Sachs est revenu aider Nelson Mandela à faire passer l’Afrique du Sud de l’apartheid à la démocratie en contribuant à la rédaction d’une Constitution qui reconnaît fortement le caractère multiculturel, multireligieux et multilingue du pays.

En 2016, M. Sachs a prononcé la Conférence annuelle sur le pluralisme à Toronto. Actuellement en auto-isolement chez lui, à Cape Town, nous avons demandé à l’honorable Albie Sachs de nous partager ses réflexions sur ce que le confinement de la COVID-19 signifie pour lui personnellement ainsi que pour l’avenir de l’Afrique du Sud.

En marchant de long en large sur notre étroite terrasse arrière, avec le son de la mer en contrebas, mon corps se souvient de quand je courais en rond dans une minuscule cour d’exercice pendant mes interminables journées d’isolement cellulaires, rêvant que je courais vers la mer… c’était il y a un demi-siècle.

À cette époque, j’étais en enfer. Aujourd’hui, je suis au paradis… Mais l’enfer existe dans ce paradis… Dans la mer en contrebas reposent les restes d’un navire échoué qui transportait 400 esclaves mozambicains dont la moitié s’est noyée et l’autre a atteint la rive pour ensuite être vendue telle une bande d’épaves humaines, intégrant ensuite la communauté de travailleurs captifs de notre ville…

Et maintenant, moi, un vétéran de la lutte qui a travaillé auprès du Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines à Washington pour trouver les mots pour raconter leur histoire, je peux renforcer mon système immunitaire en respirant l’air marin alors que de nombreux descendants de ces naufragés, dont plusieurs ont été mes compagnons d’armes, se retrouvent souvent confinés dans les espaces restreints et malsains des travailleurs pauvres.

Quelle tristesse que le moment de notre plus grande égalité soit également le moment de notre plus grande inégalité. Et pourtant, comme il est merveilleux de constater que chaque acte de confinement par chacun de nous, dans nos propres mondes séparés, soit également un acte de solidarité et d’interdépendance humaine.

 

 

Ai-je confiance en la capacité de l’Afrique du Sud à surmonter les défis du coronavirus et à émerger avec une plus grande solidarité sociale? Oui, j’ai confiance.

En fait, nous avons fait face à de pires calamités et en sommes ressortis blessés, mais triomphalement plus forts. La première a été l’épidémie de douleur et de haine engendrée par l’apartheid. En faisant preuve d’intelligence, de générosité et oui, d’idéalisme, nous avons surmonté de cruelles divisions, voté en tant qu’égaux par millions pour la toute première fois, puis nous nous sommes reconfigurés en tant que nation. Au moins, nous pouvions dire : « Nous, le peuple ».

Ensuite, nous avons fait face à la pandémie de VIH-sida, dont l’impact a été beaucoup plus drastique que celui du coronavirus. Des centaines de milliers de personnes sont décédées en vain à cause du déni du VIH dans les hautes sphères. Pourtant, aujourd’hui, nous avons oublié à quel point l’avenir était sombre à cette époque. La Treatment Action Campaign, impliquant des centaines de milliers de personnes sur le terrain aux prises avec le VIH, couplée à l’efficacité des activités de sensibilisation du public et au succès des procédures de la Cour constitutionnelle, a ouvert la voie pour que les Sud-Africains aient désormais le programme de traitement antirétroviral le plus complet au monde.

Aujourd’hui, en réponse au coronavirus, nous bénéficions d’un leadership clair, décisif et empreint de compassion. Nous avons l’expérience internationale pour nous guider. Et surtout, si l’on se fie aux premiers indices, une multitude de Sud-Africains consciencieux et bienveillants de toutes les couches de la société acceptent pleinement le besoin de se distancer afin de faire front commun.

L’Afrique du Sud a donné au monde les mots amers que sont apartheid et camps de concentration. Aujourd’hui, nous offrons au monde un mot apaisant : Ubuntu. Nous surmonterons ce désastre, et grâce à notre conscience, notre générosité et, oui, notre idéalisme, nous, en tant que peuple, en sortirons blessés, mais plus forts.

Que signifie Ubuntu?

Il s’agit d’un principe philosophique profondément ancré dans la culture africaine... Je suis une personne parce que vous êtes une personne. Je ne peux reconnaître mon humanité sans reconnaître la vôtre. Ce n’est pas seulement le droit coutumier qui a besoin de ce principe, nous en avons tous besoin. En fait, le monde entier en a besoin.

L’honorable Albie Sachs, Conférence annuelle sur le pluralisme 2016, Toronto