Le pluralisme et la pandémie

Impacts de la pandémie au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

Questions-réponses avec Bessma Momani, Ph. D.


Date de parution: juin 2020

Author: Bessma Momani, Ph. D.

Biography

Bessma Momani, Ph. D.

Mme Bessma Momani. Ph. D., est vice-présidente adjointe du département des relations internationales (2020) et professeure titulaire en science politique à l’Université de Waterloo, agrégée supérieure au Centre for International Governance Innovation (CIGI), et agrégée supérieure de recherche non résidente auprès de l’Arab Gulf States Institute, à Washington, D.C.

Elle a été agrégée supérieure de recherche non résidente auprès de la Brookings Institution et du Stimson Center à Washington, D.C., conseillère auprès du Fonds monétaire international et chercheuse invitée au Centre Mortara de l’Université Georgetown. En 2015, elle a été fellow de la Fondation Pierre Elliott Trudeau et fait maintenant partie de son conseil d’administration. Elle a également été titulaire d’une bourse Fulbright.

Mme Momani fait actuellement partie du Groupe consultatif sur la transparence de la sécurité nationale (GCT-SN) pour conseiller le sous-ministre de la Sécurité publique du Canada et d’autres représentants gouvernementaux sur l’amélioration de la transparence des établissements de sécurité nationale et du renseignement du ministère et d’autres agences gouvernementales. Elle contribue fréquemment aux médias internationaux sur des questions d’affaires internationales et rédige régulièrement des éditoriaux dans le Globe and Mail et le Time Magazine.

Mme Momani, Ph. D., est professeure titulaire de science politique à l’Université de Waterloo et agrégée supérieure au Center for International Governance Innovation. Elle se spécialise en affaires internationales, en diversité et en inclusion ainsi qu’en politique du Moyen-Orient.

Elle a été interviewée par Kundan Mishra, agent de programme au Centre mondial du pluralisme, le 30 avril 2020.

Nous avons demandé à Mme Momani d’aborder les impacts de la pandémie sur les inégalités existantes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et ce qu’elle envisage pour l’avenir de cette région après la pandémie.

Le texte suivant est une transcription de l’entrevue, laquelle a été révisée dans un souci de concision et de clarté.

 

Kundan : Durant cette crise sanitaire mondiale, les enjeux relatifs à l’équité et à l’inclusion ressortent et son exacerbés dans tous les secteurs. Qu’avez-vous observé en ce qui a trait à l’impact de la COVID-19 sur les groupes vulnérables et marginalisés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord?

Mme Momani : Les personnes déplacées à l’interne et les réfugiés sont probablement les plus vulnérables. Ils passent souvent entre les mailles du filet. Il n’y a aucune autorité réelle au-dessus d’eux capable d’administrer le type d’infrastructure de santé publique nécessaire. Les défis auxquels ils font face comprennent souvent la pénurie d’eau potable, l’alimentation adéquate et une faible santé à la base. Ils ont tendance à être pauvres et à vivre dans des espaces restreints. Tout cela aggrave le problème de la propagation de la COVID dans leurs camps.

La même vulnérabilité existe chez les travailleurs invités dans la région du Golfe. Ces derniers ont également tendance à subir cette même lacune de gouvernance et à ne pas avoir une bonne santé à la base. Peut-être ont-ils de l’eau potable, mais ils vivent tout de même avec plusieurs personnes, lesquelles sont toutes entassées dans une même pièce. Plusieurs d’entre eux travaillent dans l’industrie de la construction, laquelle est à l’arrêt présentement dans toute la région du Golfe.

Ensuite, il y a les personnes pauvres en région urbaine qui habitent dans les taudis et les bidonvilles de pays comme l’Égypte, le Maroc et l’Iraq. Bien que le Moyen-Orient soit loin d’être aussi pauvre que d’autres coins du monde et que la région n’ait pas les mêmes taux extrêmement élevés d’urbanisation et de densité (évidemment, il y a des exceptions, notamment le Caire qui est une véritable mégalopole), il y a des vulnérabilités, c’est certain. Néanmoins, comparativement à d’autres régions en développement, je pense que le Moyen-Orient s’en tire mieux.

 

Kundan : Quelles doivent être les priorités des gouvernements et des décideurs politiques du Moyen-Orient après la COVID-19?

Mme Momani : Les priorités des gouvernements du Moyen-Orient devraient être d’assurer la sécurité de leur peuple et de fournir les infrastructures de santé publique qui répondront à un urgent besoin. Certainement, au fil du temps, la priorité sera de développer des mécanismes appropriés pour distribuer des vaccins lorsque nous en serons rendus là. Ils devront également renforcer la confiance du public, ou tenter de regagner sa confiance, envers les autorités sanitaires – tout cela sera nécessaire pour qu’ils puissent combattre le virus.

Nous devons tenir compte du fait que ce n’est pas une région où règne une grande confiance publique envers le gouvernement. Dans certains pays, nous observons actuellement une rupture de confiance, notamment au Liban ou dans des régions en conflit comme le Yémen, la Syrie et certaines parties de la Libye. Cela aggravera leur difficulté à obtenir des vaccins et à s’assurer que le public se conforme aux demandes de la santé publique.

 

Kundan : Sachant que les gouvernements et les contextes politiques varient énormément dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, y a-t-il des pays ou des exemples précis où le retour à la normale après cette pandémie sera plus facile qu’ailleurs?

Mme Momani : L’argent en dit long. Il est certain qu’un pays bien doté financièrement, comme les Émirats arabes unis, surveille déjà bien son peuple et est en mesure d’imposer le genre de confinement nécessaire pour combattre le virus. Ironiquement, cette crise n’est pas facile à gérer lorsqu’on est une démocratie libérale, et il n’existe aucune démocratie libérale prospère dans le Moyen-Orient. Donc encore, ironiquement, ce sera plus difficile d’instaurer les mesures de santé publique qui requièrent une conformité stricte dans certains pays occidentaux.

Parallèlement, cela signifie également que les gouvernements du Moyen-Orient où le pouvoir est fortement centralisé, comme aux Émirats arabes unis, peuvent s’assurer du respect de la quarantaine et d’une bonne surveillance par leurs diktats.

Cela dit, nous ne pouvons pas nécessairement appliquer ce qui se produit aux Émirats arabes unis à d’autres pays qui n’ont pas l’argent et les finances nécessaires, ou qui n’ont pas la capacité de tester tout le monde et d’utiliser les moyens techniques pour effectuer la recherche de contacts pouvant contribuer à limiter la propagation du virus. C’est un désavantage pour ces pays qui ne sont pas riches. La majorité des pays du Moyen-Orient ne sont pas au bas de l’échelle des classements internationaux, mais ils ne sont certainement pas parmi les plus riches non plus. Nous ne pouvons pas voir dans les pays du Moyen-Orient les mêmes succès que vous verrions en Corée du Sud, par exemple.

Encore une fois, les Émirats arabes unis et d’autres pays du Golfe sont probablement des exceptions, car ils ont les finances nécessaires et ce n’est certainement pas grâce à leur propre ingénuité technique ou médicale. Les pays du Golfe ne savent pas mieux que les autres comment gérer la crise, mais disposent de solides réserves financières leur permettant de mettre en œuvre les politiques qui les aideront à gérer la propagation du virus. De plus, ils exercent un contrôle sur leur société leur permettant d’appliquer le type de mesures draconiennes nécessaires pour maîtriser le virus. Je ne voudrais pas que ces systèmes politiques soient valorisés d’une quelconque façon, mais ça fonctionne ainsi.

 

Kundan : Comment les conflits en cours dans la région affecteront-ils la capacité des autorités à aborder les enjeux d’équité après la pandémie?

Mme Momani : C’est une double épreuve pour la région. En situation de guerre, ce sera très difficile pour tout gouvernement de répondre aux enjeux. Les conflits actifs au Moyen-Orient comprennent actuellement la Syrie, la Libye et le Yémen. Il s’agit d’endroits où il y a réellement des zones explosives et de véritables combats. Ces points chauds ne réussiront définitivement pas à maîtriser la propagation du virus. Il est très difficile de stopper la propagation du virus lorsque vous avez de multiples sources de pouvoir et d’autorité. S’ajoutant à cela, dans certains cas comme au Yémen, il y avait une extrême pauvreté et de très faibles infrastructures de la santé, et ce, même avant la guerre et la crise sanitaire actuelle. Donc oui, il y aura des écarts énormes.

 

Kundan : Qu’espérez-vous que les sociétés du monde entier apprennent de cette expérience en allant de l’avant?

Mme Momani : Le plus grand besoin de coopération mondiale et de confiance publique des citoyens. Les gouvernements doivent obtenir la confiance des citoyens. Ils ne peuvent pas y arriver sans une forme de libéralisation politique et sans société civile active. La capacité à gérer ce type de pandémie dans le futur dépendra de l’existence de cette confiance du public.