Le pluralisme et la pandémie

Le pluralisme numérique : Utiliser l’optique du pluralisme pour réfléchir à l’éducation à la citoyenneté numérique dans le contexte de la COVID 19


Date de parution: juin 2020

Author: Nicole Fournier-Sylvester, Ph.D.

Biography

Nicole Fournier-Sylvester, Ph.D.

Nicole Fournier-Sylvester, Ph.D., est gestionnaire de l’éducation au Centre mondial du pluralisme. Elle compte à son actif un grand nombre de publications, de présentations de conférences et d’ateliers de développement professionnel sur le dialogue pluraliste, la citoyenneté numérique, la pensée critique et la décolonisation. En tant que co-enquêteuse pour le projet Someone, elle a développé un programme sur la pensée critique dans les espaces en ligne, a mis au point des modules de formation à l’animation et a fourni une expertise de contenu pour le projet de cours en ligne ouvert à tous De la haine à l’espoir : cultiver la compréhension et les capacités de résilience. Sa thèse, intitulée Connected : Facilitating Transformative Online Dialogue in Peace-Building, Reconciliation, and Global Citizenship Education Programs, comparait les programmes internationaux d’éducation en ligne conçus pour atténuer les conflits, aborder des questions controversées et faire progresser les capacités d’apprentissage du XXIsiècle. Nicole compte plus de dix ans d’expérience dans l’élaboration et l’enseignement de cours sur la démocratie et la diversité culturelle, l’éthique, l’éducation et le changement social. Elle a également servi de coach et de facilitatrice pour le programme d’échange virtuel international Connect de Soliya.

La pandémie de COVID-19 a mis en lumière et exacerbé bon nombre des inégalités existantes dans les systèmes éducatifs du monde entier. Bien que les conséquences à long terme restent floues, une chose est sûre : l’accès à la technologie et à Internet est de plus en plus lié au droit à l’éducation.

L’utilisation de la technologie requiert un ensemble de compétences de citoyenneté numérique qui aident les apprenants à se déplacer confortablement et en toute sécurité dans des environnements en ligne, que ce soit pour l’information, l’éducation, l’emploi ou à des fins sociales.

Cet article de blogue illustre la manière dont l’optique du pluralisme peut être appliquée à la technologie, à Internet et à l’éducation en ces temps de pandémie et au-delà. Ce cadre permet de créer des espaces en ligne accessibles à tous et où les différences sont valorisées.

L’« optique du pluralisme » du Centre mondial du pluralisme

Plusieurs cadres d’éducation à la citoyenneté numérique ont été élaborés et affinés au cours des 20 dernières années[1]. En tant qu’ancienne professeure de sciences humaines et chercheuse dans les domaines de l’éducation à la citoyenneté, du dialogue critique entre groupes et des échanges virtuels, je suis convaincue que l’adoption d’une « optique du pluralisme » peut aider les jeunes du monde entier à appliquer le respect de la diversité à leur façon de comprendre et de se comporter dans les espaces en ligne.

Le cadre de l’optique du pluralisme du Centre est fondé sur la compréhension du fait que même les institutions et les politiques les plus inclusives peuvent succomber à des attitudes basées sur la peur ou l’exclusion. Ainsi, la promotion du pluralisme exige que nous étudiions à la fois les institutions (« le support matériel ») et les mentalités (« le support logiciel ») (Kymlicka, 2017).

Cette approche s’applique également aux discussions sur le pluralisme dans le domaine numérique.

Le support matériel du pluralisme numérique

À quoi faisons-nous référence lorsque nous parlons de « pluralisme numérique »?

D’une part, le « support matériel » du pluralisme numérique fait référence à l’infrastructure littérale qui permet aux apprenants d’entrer dans les espaces d’apprentissage en ligne par le biais d’ordinateurs, de la technologie mobile et d’une connexion Internet fiable.

Il y a près de dix ans, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Frank La Rue, affirmait que l’accès aux technologies était fondamental pour la liberté d’expression, la participation civique et l’éducation (La Rue, 2011). L’accès à des services de base, tels que l’électricité, reste un défi dans de nombreux pays. Néanmoins, La Rue a décrit Internet comme l’un des instruments les plus puissants du XXIe siècle pour accroître la transparence et la responsabilité, et pour mobiliser les appels à la justice et à l’égalité. Il a souligné la nécessité de promouvoir « le droit à la liberté d’expression et les moyens nécessaires à l’exercice de ce droit, notamment […] de rendre Internet largement disponible, accessible et abordable pour tous » (p. 4).

D’autre part, le « support matériel » du pluralisme numérique fait référence aux politiques, droits et réglementations qui régissent la publicité numérique et la propriété des médias. Ces structures juridiques et politiques ont un impact significatif sur qui a accès aux environnements numériques, comment et à quel prix.

Comme je l’ai indiqué dans ma proposition Résultats d’apprentissage pour l’éducation au pluralisme numérique (voir encadré), les questions relatives au « support matériel » doivent examiner les politiques des sites de médias sociaux. Ces politiques peuvent servir à inclure et à exclure en définissant et en réglementant la liberté d’expression et les discours haineux, et en prenant des décisions par rapport à ce que nous considérons comme des « nouvelles ».

En outre, les internautes doivent comprendre comment les algorithmes, les « chambres d’écho » et les « bulles de filtres » sont utilisés, notamment parce qu’ils servent à limiter la diversité des perspectives auxquelles les utilisateurs peuvent être exposés, renforçant ainsi efficacement les croyances existantes.

Le support logiciel du pluralisme numérique

Comme mentionné ci-dessus, nous devons aborder les questions structurelles liées au « support matériel » du pluralisme numérique. Mais cette approche n’est pas suffisante pour créer des espaces en ligne accessibles à tous dans lesquels les différences sont valorisées. Lorsque je pense au « support logiciel » du pluralisme numérique, je fais référence aux normes culturelles et aux mentalités, y compris les conceptions de la différence et les récits sur l’appartenance (Kymlicka, 2017).

La pandémie a conduit à mettre davantage l’accent sur le renforcement de la résilience des jeunes et sur les stratégies d’adaptation pour faire face à l’incertitude dans leur vie. Alors que les apprenants établissent des liens au niveau mondial et cherchent à créer des relations en ligne, les récits sur la différence et l’appartenance doivent être remis en question. Cela est essentiel pour créer des espaces en ligne qui incarnent le pluralisme. Comme l’affirment Luthra et Mackenzie :

Dans cet environnement mondial en constante évolution, les jeunes doivent faire preuve de résilience et d’adaptabilité – des compétences qui s’avèrent essentielles pour naviguer efficacement cette pandémie. À l’avenir, certaines des compétences les plus importantes que les employeurs rechercheront seront la créativité, la communication et la collaboration, ainsi que l’empathie et l’intelligence émotionnelle; et la capacité à travailler au-delà des différences démographiques pour exploiter le pouvoir du collectif grâce à un travail d’équipe efficace. (Luthra et Mackenzie, 2020)

Que ces compétences et attitudes soient en fin de compte considérées comme essentielles dans le contexte d’une crise mondiale ou plus largement comme des compétences civiques ou professionnelles, cette description souligne la nécessité d’aborder la collecte de connaissances et les interactions en ligne avec ouverture d’esprit, curiosité, empathie, courage et une réelle volonté de comprendre les différentes perspectives et façons de voir le monde.

Il est important que les jeunes reconnaissent que les interconnexions mondiales rendues possibles par Internet n’impliquent pas nécessairement l’égalité des chances. Les questions d’équité, d’accès et d’inclusion sont tout aussi pertinentes en ligne que hors ligne. Les initiatives d’éducation numérique doivent donc tirer parti de la capacité de la technologie à connecter les apprenants entre eux au niveau mondial afin qu’ils puissent chercher à :

… passer par les difficultés et les désagréments de la confrontation de nos héritages passés et des inégalités actuelles afin de pluraliser les possibilités de vivre ensemble dans le présent et l’avenir. En fin de compte, il s’agit de se rappeler comment être ouvert, établir des relations au-delà du besoin de causes et d’identités communes, et apprendre dans un monde pluriel où la justice commence par les formes de relations que nous sommes capables de créer. (Andreotti et Ashby, 2013, p. 433)

Grâce à ces relations, le pluralisme numérique vise à créer des communautés en ligne d’apprenants du monde entier dans lesquelles les différences sont valorisées et tous les participants sont traités avec dignité et se sentent à leur place.

Conclusion

Tandis que les réponses aux fermetures d’écoles en présentiel ouvrent inévitablement des discussions sur le rôle actuel et futur de la technologie dans l’éducation, l’optique du pluralisme nous rappelle que les discussions autour de l’apprentissage en ligne doivent être couplées à un engagement à construire les infrastructures nécessaires pour assurer un accès équitable.

De plus, la création d’espaces d’inclusion et d’appartenance en ligne exige un questionnement constant sur qui est inclus, exclu et comment. De cette façon, de nouvelles compréhensions de ce à quoi ressemblent le respect et la valorisation de la différence et l’expérience de l’appartenance en ligne peuvent se retrouver au premier plan des programmes d’éducation à la citoyenneté numérique.

 


Résultats d’apprentissage pour le pluralisme numérique

Le pluralisme numérique vise à créer des espaces en ligne qui reflètent une éthique de respect de la diversité, de telle sorte que les éducateurs s’efforcent de veiller à ce que tous les apprenants soient traités avec dignité et se sentent à leur place.

Les apprenants formés pour s’engager dans des espaces en ligne qui incarnent le pluralisme peuvent donc :

●        Décrire comment les algorithmes, les « chambres d’écho » et les « bulles de filtres » limitent la diversité des perspectives auxquelles les utilisateurs sont exposés, et ce sans leur consentement, ce qui renforce efficacement les croyances existantes.

●        Expliquer comment les politiques relatives à la liberté d’expression, à la haine et à ce que l’on peut qualifier d’information crédible ont un impact sur les perspectives disponibles dans les différentes plateformes de médias sociaux.

●        Décrire les techniques de manipulation et d’argumentation utilisées pour justifier les discours de haine ou de peur sur la différence et comment l’imagerie peut être utilisée et manipulée pour renforcer les messages de division.

●        Comparer différentes perspectives, formes d’expression et modes de connaissance afin d’élargir la compréhension des questions sociales et politiques.

●        Évaluer – à l’échelle mondiale et locale – les questions d’accès à la technologie. Quels sont les droits, les politiques et les conventions qui régissent l’accès? Qui y a généralement accès? Quelle est la relation entre, d’une part, le lieu (membres urbains ou ruraux), la classe, la religion, le sexe, la race, l’ethnie, la langue, le statut, etc. et, d’autre part, l’accès?

●        Accéder et participer à des dialogues en ligne avec curiosité et empathie envers des perspectives diverses et une ouverture d’esprit face au désaccord respectueux.

●        Défendre et contribuer à des communautés en ligne où les différences sont valorisées et où tous les participants sont traités avec dignité et ont le sentiment d’appartenir à une communauté.


Sources :

Andreotti, V. & Karen Pashby (2013) Digital Democracy and Global Citizenship Education: Mutually Compatible or Mutually Complicit?, The Educational Forum, 77:4, 422-437, DOI: 10.1080/00131725.2013.822043

Kymlicka, W. (2017). The Hardware and Software of Pluralism, Accounting for Change in Diverse Societies. Ottawa, ON: Global Centre for Pluralism.

James, C., Weinstein, E., & Mendoza, K. (2019). Teaching digital citizens in today’s world: Research and insights behind the Common Sense K–12 Digital Citizenship Curriculum. San Francisco, CA: Common Sense Media.

La Rue, Frank. (2011). Report of the Special Rapporteur on the promotion and protection of the right to freedom of opinion and expression Human Rights Council, Seventeenth session. Promotion and protection of all human rights, civil, political, economic, social and cultural rights, including the right to development

Luthra, P. & Mackenzie, S. (March, 2020). 4 ways COVID-19 could change how we educate future generations. World Economic Forum.

 

 

 

 

[1] Exemples : Ribble et Bailey, 2007; Conseil de l’Europe; International Society for Technology in Education