Le pluralisme et la pandémie

Le rôle du Canada sur la scène mondiale après la pandémie


Date de parution: juin 2020

Author: Le très honorable Joe Clark

Biography

Le très honorable Joe Clark

Ex-premier ministre et ancien ministre des Affaires étrangères du Canada

La Covid-19 nous a tous sortis de notre perspective étroite ou familière. Nous avons le sentiment rassembleur de nous retrouver devant un défi fatidique que nous ne pouvons gérer ou atténuer, à part ensemble. Quelles que soient nos différences, nous avons été propulsés dans un sentiment de communauté partagée.

Que devrions-nous apprendre de cette expérience de profonde vulnérabilité qui dépasse notre contrôle individuel ou national?

Comment renforcer notre capacité collective à survivre et à prospérer dans un monde où de graves menaces et surprises surviennent inéluctablement?

Le Canada et le pluralisme ont tous deux des rôles clés à jouer alors que nous répondons à ces questions essentielles.

Le pluralisme peut sembler être un noble concept. En fait, le pluralisme définit plutôt le respect, la coopération et l’objectif commun grâce auxquels les sociétés fonctionnent – qu’il s’agisse de villages ou de quartiers, de pays ou d’organisations, ou encore d’associations informelles. Les mots « communauté » et « pluralisme » signifient tous deux « plus qu’un ».

J’ai l’honneur de présider le jury du Prix mondial du pluralisme, dont les remarquables lauréats et lauréates démontrent clairement que le pluralisme est une pratique et non une théorie. Ces derniers transforment des vies partout dans le monde et dans chaque secteur, démontrant le pouvoir du travail collectif pour propulser le changement. En voici quelques exemples :

  • De jeunes techniciens au Brésil qui ont inventé l’application HAND TALK qui traduit le langage oral en langage des signes pour les personnes sourdes.
  • RUPANTAR, au Bangladesh, qui organise des dialogues interreligieux dans lesquels des dirigeants musulmans, hindous et chrétiens combattent l’extrémisme ensemble.
  • La médiatrice de paix ALICE NDERITU, du Kenya, qui effectue de la médiation et des négociations de paix dans des conflits ethniques dominés par les hommes dans l’ensemble de l’Afrique.
  • Des chorales en Afghanistan qui enseignent aux orphelins à apprendre et à chanter.
  • SINGA, en France, qui aide les réfugiés à trouver un réseau professionnel et du soutien en Europe et au-delà.
  • WAPIKONI, un organisme qui aide les jeunes autochtones au Canada à raconter leurs histoires à travers le cinéma.

Au-delà de l’attention conférée par un prix, cet instinct pluraliste distingue et motive des milliers de citoyens et citoyennes bénévoles faisant partie de cercles d’entraide, de gouvernements locaux et de groupes communautaires qui aident régulièrement les aînés, les personnes malades, les jeunes ou les nouveaux arrivants.

Historiquement, au Canada, cet instinct de respect et de coopération a inspiré la création de ce pays de différences. Évidemment, nous avons souvent échoué. Et nous avons été bénis par des atouts et des avantages matériels extraordinaires. Mais ce qui distingue cet immense pays multiculturel et accompli est nos fréquentes réussites à respecter et mobiliser nos intérêts humains diversifiés. Les gouvernements ont un rôle à jouer, mais il s’agit principalement d’une histoire de réussite citoyenne.

Que le défi ait été de combattre la famine, d’accueillir des réfugiés ou d’assurer l’atterrissage sécuritaire d’avions transcontinentaux, notre pays accueille ceux qui « viennent d’ailleurs » en période de grande nécessité. Pour tout le monde à part les peuples autochtones, voilà comment nos familles canadiennes ont commencé – en venant de partout et en respectant, et par conséquent, en gérant, nos réelles différences, et en bâtissant la communauté ensemble. Peut-être que quelques-unes de ces leçons historiques nous ont inspirés à créer une nation fondée sur le respect, la communauté, la citoyenneté active et l’humilité. D’un pays initialement défini par ses matières premières, nous sommes devenus un pays défini par ses communautés.

Alors que le monde se remettra du choc et de la « distance », la façon dont nos instincts et nos expériences pluralistes de développement communautaire pourraient enrichir et guider le rétablissement international après la COVID fait partie des défis du Canada.

Certainement, le monde contemporain semble plus séparé qu’uni.

  • Les institutions multilatérales telles que les Nations Unies, l’Union européenne et quelques-unes des plus importantes ONG perdent leur autorité et leur consensus pour aider à combler les lacunes entre les pays développés et en voie de développement;
  • Les dirigeants autoritaires qui prétendent être « populistes » divisent les populations internes et dégradent des instruments essentiels à la coopération internationale;
  • Les tensions religieuses, culturelles ou de classe augmentent et la réponse est plus souvent le conflit que la négociation; et
  • Les individus qui veulent rebâtir ne savent pas comment.

Dans ce contexte, comment les partenariats entourant la santé, l’économie et la sécurité peuvent-ils être favorisés? Comment le respect peut-il remplacer la suspicion? Comment ses intérêts individuels peuvent-ils contribuer à des intérêts partagés? Comment peut-on faire en sorte que les communautés fonctionnent?

Les Canadiens et les Canadiennes ont eu un important rôle à jouer dans le traitement de ces questions.

  • À l’interne, notre fédéralisme pragmatique reflète, respecte et encourage d’importantes différences régionales, culturelles et individuelles. Par conséquent, nous réunissons des cultures et des intérêts diversifiés en ayant plus de succès que tout autre pays.
  • Dans un contexte international où le régionalisme et le conflit sont de plus en plus présents, nous avons un statut presque unique en tant qu’économie occidentale fructueuse, un multilatéralisme fiable et créatif et une histoire partagée par plusieurs pays en émergence, en tant que colonie et non en tant que pouvoir.

 

Les Canadiens et les Canadiennes sont relativement modestes à propos de ces qualités et ne devraient certainement pas les exagérer ou s’en vanter. Sans aucun doute, plusieurs de ces qualités représentent notre potentiel plus que notre performance. Mais nous ne devrions pas non plus nier ces attributs qui reflètent la communauté et le pluralisme en pratique, et qui peuvent être exceptionnellement précieux présentement.

Nous avons déjà relevé des défis mondiaux et il y a présentement un besoin clair de changements. Les forces importantes et grandissantes du Canada comprennent précisément la capacité de dégager un consensus issu de la diversité. Ce talent est exceptionnellement pertinent aujourd’hui, dans un monde secoué par la pandémie et conscient du besoin de se réformer.