Le pluralisme et la pandémie

Une pandémie de préjugés


Date de parution: juin 2020

Author: Nitin Pai

Biography

Nitin Pai

Nitin Pai est cofondateur de l’Institut Takshashila, un centre indépendant de recherche et d’éducation en politique publique. Ses recherches actuelles portent notamment sur la géopolitique de l’Indo-Pacifique, l’économie de la défense et la politique d’information. Il enseigne les relations internationales et la politique publique dans les programmes d’études supérieures de Takshashila. M.

Pai est un chroniqueur régulier pour le Mint, ThePrint et le Deccan Herald. Avant de fonder Takshashila, il a passé plus de dix ans au sein du gouvernement singapourien dans le secteur de la technologie.

Le pluralisme est souvent une des premières victimes en cas de pandémie

L’incertitude radicale engendrée par une épidémie devient une justification pour les expressions de haine, de discrimination et de violence.

Dans son histoire des épidémies et de la société, Frank M. Snowden note que les réponses sociales aux éclosions de maladies comprennent « la stigmatisation et la recherche de boucs émissaires, la fuite et l’hystérie de masse, les émeutes et un regain de la religiosité. » Il est commun de voir des individus et des groupes se faire excommunier, ostraciser, expulser et tuer en période de maladies.

Bien que les progrès scientifiques nous permettent d’identifier les causes des épidémies, comment elles se répandent et comment les maîtriser, ces progrès n’ont pas réussi à nous débarrasser de la mentalité populaire de l’ignorance, de la superstition et de l’incompréhension. Nous le constatons dans les réponses publiques à la pandémie de COVID-19, et ce, partout dans le monde, dans les pays riches comme dans les pays pauvres, en ville comme en campagne, et chez les personnes instruites comme chez les personnes qui ne le sont pas. La pandémie virale s’accompagne également d’une pandémie de préjugés.

 

Les exigences de combattre la pandémie ne doivent pas annuler le contrat social

Même les sociétés qui respectent normalement la diversité et font respecter le pluralisme peuvent être tentées de permettre à ces valeurs d’être éclipsées par les exigences de combattre la pandémie. Non seulement acquiesçons-nous aux modifications d’urgence apportées au contrat social, remettant ainsi un pouvoir extraordinaire dans les mains de l’État et de la communauté, nous leur permettons également d’agir en dehors de la procédure établie, sans freins et contrepoids.

Les complexes d’appartements privés dans les villes indiennes, par exemple, ont imposé de nombreuses restrictions aux résidents et au personnel se fondant davantage sur des préjugés sociaux que sur des considérations sanitaires publiques. Il y a eu de nombreux rapports de discrimination liée aux clivages religieux et ethniques dans les espaces publics, même dans les établissements de santé. Même deux mois après qu’il soit devenu évident que des millions de travailleurs migrants ont été laissés en plan et sans emploi en raison du confinement national, les gouvernements de l’Union et des États de l’Inde n’ont toujours pas trouvé de réponse sensible et humaine à leur situation.

Ce qui se passe en Inde n’est pas unique. La menace au pluralisme est mondiale. La question est de savoir s’il en sera de même après la pandémie. Il est prématuré d’en déduire que le monde après la pandémie en sera un de gouvernements de plus en plus autoritaires, de liberté décroissante et de pluralisme fuyant.

 

La pandémie nous offre des occasions de créer de nouveaux équilibres sociaux

Certaines de ces occasions sont ascendantes. De nombreuses villes indiennes, par exemple, ont découvert que « des horaires décalés, la réduction des déchets, le commerce électronique, la livraison sans contact, l’attention portée à l’hygiène publique et la charité directe pour aider les personnes dans le besoin dans nos communautés locales sont toutes de bonnes habitudes qui peuvent transformer notre façon de vivre ». Maintenir ces habitudes serait une amélioration par rapport à l’ancienne normalité.

Comme je l’ai récemment exprimé, « certaines choses vont changer dans le monde d’après la pandémie : les chaînes d’approvisionnement, les normes relatives aux déplacements, le souci d’hygiène, l’utilisation d’Internet, les habitudes de consommation et ainsi de suite. Mais plusieurs autres choses ne changeront pas : la famille, la nourriture, les breuvages, les habitations, l’éducation, le transport, les stimulants, les intoxiquants, le sexe, la vanité personnelle, le désir d’atteindre un statut, la reconnaissance et la communauté. Il y aura de meilleurs points d’équilibre à l’intersection du changement et de la constance. Nous devrons les trouver. »

Ce sont des occasions de créer de meilleurs équilibres à l’échelle mondiale et nationale. La raison pour laquelle les Nations Unies ont été de plus en plus inefficaces dans les deux dernières décennies s’explique en partie par le fait que l’organisation est constituée pour résoudre des problèmes du siècle dernier. Les défis de l’époque d’après la Deuxième Guerre mondiale étaient inter-nationaux alors que ceux de l’époque d’après la pandémie seront mondiaux puisqu’ils affectent la planète en tant que tout. On ne peut résoudre la pandémie ou le changement climatique en utilisant la force militaire pour punir l’agresseur. La COVID-19 souligne le besoin d’une approche « nous sommes tous concernés » à l’échelle mondiale, et peut-être de nouvelles institutions internationales pour remplir un tel mandat.

À l’échelle nationale, on espère que l’électorat de la majorité des démocraties commence à comprendre que le populisme ne remplace pas le raisonnement économique sérieux et la capacité administrative. La pandémie aurait été beaucoup moins pénible et coûteuse si les leaders politiques nationaux n’avaient pas rejeté la science, la raison et les bons conseils. Ce sont des occasions pour les politiciens et les partis de changer le discours populiste.

En 1947, quand les émeutes brutales associées à la partition ont enflammé d’anciens préjugés religieux, rares sont ceux qui croyaient que l’Inde pourrait devenir un pays laïque. Quand l’Ouest et le bloc soviétique soutenaient les autocrates, rares sont ceux qui croyaient que la démocratie libérale survivrait dans un pays pauvre, peuplé et hautement diversifié. Toutefois, la République de l’Inde est née en tant que pays laïque et démocratie libérale. L’Inde a élargi les frontières du pluralisme plus que jamais dans son histoire. Pour les défenseurs du pluralisme, la République de l’Inde est inspirante et vaut la peine d’être défendue.

L’histoire ne se déroule jamais de façon linéaire à la suite d’événements extraordinaires. Ceux qui s’engagent à créer de meilleurs équilibres sociaux devraient prendre le virage vers un monde pluraliste.