Allocution de Meredith Preston McGhie

Notre vision du Centre mondial du pluralisme pour les dix prochaines années

Le texte suivant est extrait d’une allocution prononcée lors du diner des dirigeants du Conseil Aga Khan à Toronto, le 22 février 2020.

Pour faire en sorte que le concept du pluralisme soit compris et valorisé dans le monde entier, les gens doivent voir son reflet dans leur quotidien. Ils doivent voir le pluralisme dans les choix qu’ils font et non pas comme un idéal distant ou une théorie académique. Trop souvent aujourd’hui, nous constatons l’étroitesse de plus en plus marquée de récits et de perspectives qui ne permettent pas aux gens de voir comment la diversité façonne leur monde de manière positive.

Pour que nous puissions être convaincants, nous devons reconnaître que vivre et respirer chaque jour avec le pluralisme n’est pas simple. 

C’est facile de respecter la différence de loin, de respecter l’identité d’autrui si elle ne nous pousse pas à remettre en question nos propres choix et perspectives. Toutefois, pour être une société véritablement plurielle, nous devons nous permettre d’être mal à l’aise, de faire face aux tensions naturelles inhérentes à la diversité de notre société, de les surmonter et de reconnaître que notre société en ressort plus forte, pacifique et durable. Dans ces malaises, un véritable apprentissage et une réelle transformation émergent.

Nous vivons à une époque de division, d’inégalité et de peur. Le défi auquel nous faisons face n’a jamais été aussi grand. Il y a une réelle crise sociale mondiale liée au fonctionnement (ou encore plus important, au non-fonctionnement) de nos systèmes politiques et de gouvernance pour une grande partie de la population. Cette époque d’anxiété et de perte de confiance envers les systèmes s’est manifestée dans les politiques nationales en Inde, dans la montée du populisme aux États-Unis et en Europe, et dans l’opposition de « l’industrie » face à la forêt pluviale et ses gardiens autochtones au Brésil.

Je l’ai moi-même constaté en tant qu’artisane de la paix. Au cœur de tous les conflits pour lesquels j’ai agi à titre de médiatrice reposait un échec du respect de « l’autre » et une incapacité à voir comment les différences pouvaient coexister en paix et même nous renforcer les uns les autres.

Dans ce contexte difficile, il est impératif d’être proactifs, pratiques et convaincants. Nous savons que la gestion positive de la diversité revêt une importance capitale et qu’elle se situe en fait dans le fondement de tout système social.

Pour faire valoir cet argument, nous devons reproduire des résultats positifs.

Nous avons besoin des outils et d’une preuve solide. Nous devons tendre la main, établir des ponts et engager le dialogue.

Le rôle du Centre

Nous voyons le pluralisme non pas comme un sujet spécialisé, mais comme une partie intégrante de tout, c’est-à-dire, de notre façon de gouverner, d’éduquer nos jeunes, de nous représenter, nous et notre société, dans les médias, de résoudre les conflits, de comprendre nos histoires et de nous réconcilier avec notre passé.

Nous adoptons une approche systémique en nous penchant sur de vastes secteurs où nous pouvons avoir une influence sur l’enjeu du pluralisme tout en cherchant à ce que notre travail ait un impact concret à l’échelle locale.

Un des premiers obstacles à l’enjeu du pluralisme est comment le mesurer. Comment quantifier dans quelle mesure une société gère sa diversité, quels secteurs vont bien et où sont les lacunes? Comment faire preuve de rigueur lorsque nous tentons de comprendre où les sociétés vont moins bien et si cela risque de les mener sur un dangereux chemin vers la violence ou le conflit?

Dans cet esprit, le Centre élabore un outil de mesure. Un outil pour mesurer l’inclusion, l’exclusion et l’appartenance au sein d’une société. Nous l’appelons l’Indice mondial du pluralisme. Notre vision est que l’Indice puisse être mis en œuvre dans 100 pays ou plus dans le monde entier, et produire tous les deux ans, un bulletin permettant aux pays d’évaluer leur progression quant à leur gestion de la diversité. Nous voulons également pousser les pays à agir.

L’Indice peut être un outil pour les gouvernements comme pour les sociétés civiles. Il peut appuyer des réformes et des changements et éclairer des discussions et des dialogues importants sur la façon dont une société fait ses choix.

L’outil pourrait être utile aux administrations municipales pour observer dans quelle mesure la ville se développe de façon à être inclusive; aux universités pour mesurer comment la diversité est gérée sur le campus; ou dans les processus de paix comme façon d’amener les parties au conflit à adopter une approche positive face à la diversité dans le cadre de leurs engagements suivant l’accord de paix. Les possibilités sont innombrables.

Un deuxième défi auquel nous nous attaquons est celui de l’éducation. Les systèmes d’éducation façonnent les jeunes afin qu’ils deviennent des citoyens engagés et qu’ils développent leur pensée critique. Comment aller au-delà de ce qui est enseigné au programme et comment amener les jeunes d’une classe et de toute l’école à entrer en contact de manière positive avec la diversité qui les entoure, à sentir qu’ils appartiennent à l’école et qu’ils y sont inclus, et ce, pour ensuite les aider à participer de façon constructive à des conversations complexes et difficiles avec des perspectives divergentes? Voilà l’objectif primordial lorsqu’il s’agit d’outiller les élèves afin qu’ils deviennent des leaders responsables de demain.

Nous lançons un outil pour aider le personnel enseignant du monde entier et de toutes les disciplines à le faire, et ce, en intégrant le pluralisme à leur enseignement. Nous ne cherchons pas à créer un programme sur le pluralisme. Nous voulons donner au personnel enseignant, les outils pour devenir pluraliste. Qu’il s’agisse d’enseigner la physique à Lahore, l’histoire à Nairobi ou la littérature anglaise à Winnipeg, ces outils aideront les enseignants et les enseignantes à se bonifier et à contribuer au développement de jeunes qui abordent la diversité de manière positive, qui reconnaissent et remettent en question l’inégalité et qui défendent le pluralisme dans leur quotidien. Nous aimerions que les élèves, le personnel enseignant, les classes et les écoles deviennent des incubateurs de pluralisme.

Le dernier pilier de nos programmes actuel est le Prix mondial du pluralisme. Commençant maintenant son troisième cycle, l’objectif de notre Prix est de mettre en lumière des exemples exceptionnels de pluralisme en action. Cela nous donne l’occasion de nouer des liens et de créer des partenariats partout dans le monde avec un groupe diversifié d’organisations et d’individus extraordinaires qui travaillent pour renforcer le pluralisme dans leur communauté, souvent malgré un contexte extrêmement difficile. Le Prix et les partenariats qui en découlent nous permettent d’amplifier l’impact de notre travail.

Le Prix a le pouvoir d’inspirer. Les lauréats et les lauréates sont des exemples positifs et leur travail remarquable est pertinent à l’échelle mondiale et non seulement dans leur pays ou leur région.

Ces programmes de base nous amèneront loin dans les dix prochaines années, mais nous sommes conscients qu’il existe bien d’autres domaines sur lesquels nous devons nous pencher, qu’il s’agisse de soutenir les efforts de paix dans le monde entier, de promouvoir des économies pluralistes et des espaces en ligne inclusifs, de bâtir des médias capables de dresser un portrait positif de toutes les facettes de la diversité, et de comprendre comment, nous, en tant que Centre, pouvons jouer un rôle constructif dans nos propres grands défis ici, au Canada, pour favoriser la réconciliation avec les peuples autochtones.

Je suis très inspirée par les mouvements sociaux du monde entier qui ont sonné l’alarme sur le changement climatique, engendré plusieurs importantes conversations mondiales sur des enjeux sociaux ou fait tomber des gouvernements répressifs comme au Soudan l’an dernier. Les jeunes sont essentiels à ces mouvements comme ils le seront pour diriger un avenir ouvert à la diversité. Je suis inspirée quotidiennement par la passion, l’engagement et l’articulation de ces jeunes et de ces vastes mouvements. Nous cherchons actuellement à comprendre comment entrer en contact plus efficacement avec eux.

Enfin, nous nous efforcerons d’agir en tant que convocateurs de dialogue, de faciliter des discussions délicates et de devenir un exemple du pouvoir et de la valeur des conversations constructives malgré les divisions et les différences.

Liste de souhaits pour le changement

Tout le travail que nous faisons maintenant, et que nous planifions faire dans le futur, s’appuie sur notre vision d’un monde où la différence entre les êtres humains est valorisée et où les sociétés diversifiées prospèrent.

Mais qu’en est-il des changements que nous devrons constater pour savoir que nous progressons dans notre mission? Voici quelques réflexions tirées de ma liste personnelle de souhaits pour le changement :

  • J’aimerais ne pas avoir à définir le pluralisme. J’aimerais que le mot « pluralisme » fasse partie du langage du grand public, partout dans le monde, et que les gens comprennent que la diversité est un fait, mais que le pluralisme est l’ensemble des choix positifs qui sont faits pour valoriser la diversité sociale et s’appuyer sur elle.

  • J’aimerais que les politiciens soient tenus responsables de leurs échecs en la matière.

  • J’aimerais voir les jeunes du monde entier sortir de l’école avec une éthique de respect et un engagement envers le pluralisme.

  • J’aimerais voir un espace en ligne qui soit aussi humain et positif envers la différence que nous pouvons l’être lors de nos interactions en personne.

  • J’aimerais voir d’importantes politiques et décisions gouvernementales fondées sur la conviction que toute action doit s’appuyer sur le respect de la diversité.

  • J’aimerais que les choix quotidiens des citoyens et des citoyennes soient éclairés par une meilleure compréhension du pluralisme et par une plus grande empathie envers les personnes qui pourraient être différentes d’eux.

Nous avons beaucoup de travail à faire pour réaliser cette liste de souhaits, mais au Centre, nous nous réjouissons de pouvoir relever ce défi et saisir cette occasion.

Comme Son Altesse l’a dit lors de l’inauguration du Centre, « le véritable pluralisme comprend que la diversité n’affaiblit pas une société, mais qu’il la renforce. Un véritable sens de pluralisme est le fondement indispensable à la paix et au progrès humain. »

Nous continuerons de travailler ensemble pour réaliser cet objectif.

Meredith Preston McGhie

Secrétaire générale, Centre mondial du pluralisme